Etudes des coraux

Principe des études des coraux

Généralités sur les coraux

Coraux   Les coraux utilisés pour les études de paléoclimatologie récente sont des organismes très simples vivant en colonies, dans la partie superficielle de la colonne d’eau à des profondeurs n'excèdant pas 10 mètres, qui sécrètent un squelette de carbonate de calcium. Ils se développent essentiellement dans les eaux chaudes. Les coraux massifs Porites utilisés pour la plupart des reconstitutions paléoclimatiques ont l’allure d’énormes choux fleurs pouvant avoir une durée de vie de plusieurs siècles pendant lesquels ils vont former un squelette de plusieurs mètres de diamètre. Il a été montré par radiographie X que les alternances entre bandes claire et sombre du squelette permettaient d'estimer leur âge. En effet, la croissance des anneaux est saisonnière, chaque groupe de bandes sombre et claire correspondant à une année. Plusieurs types d’études géochimiques sont susceptibles d’apporter des informations quantitatives concernant les variations de température de l’eau, de la salinité, des conditions d’ensoleillement.

 

Les traceurs géochimiques contenus dans ces coraux

Comme pour tous les carbonates de Calcium la composition isotopique de l’Oxygène de l’aragonite dépend à la fois de la température et de la composition isotopique de l’eau. Cette dépendance de deux paramètres peut être un avantage: en effet El Niño peut entraîner une augmentation de la température de l’eau de surface et/ou une modification des précipitations susceptibles d’affecter la salinité tout comme le rapport isotopique de l’eau de mer.

La reconstitution de l’influence d’El Niño est basée sur les deux indicateurs que sont le rapport 18O/16O, traceur de la température de l’eau de mer et le rapport 13C/12C, traceur de l’activité photosynthétique et donc indirectement de la nébulosité. En effet les relevés météorologiques récents ont montré qu’El Niño se traduit à Tahiti par une faible augmentation de température (de l’ordre de 1 à 2°C) et une diminution de la nébulosité (d’environ 12%) pendant la saison des pluies qui coïncide avec la période de plus forte irradiation.

 

Lorsque les eaux chaudes migrent de la partie Ouest à la partie Est de l’Océan Pacifique, la Zone de Convergence du Pacifique Sud remonte vers le Nord ce qui se traduit par une anomalie positive en 13C; l’augmentation de la température de surface de l’océan, signalée par une anomalie négative de 18O, ne se produira qu’une année après. L’association de ces deux signaux se produisant sur deux ans est, selon Anne Juillet-Leclerc du Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement (CEA-CNRS), la signature de l’influence d’El Niño à cette latitude et permet la reconstitution de l'évolution du phénomène. L’effort de reconstitution ne peut pas être dissocié d’un traitement mathématique rigoureux des résultats, qui révèle les périodicités statistiquement significatives.

 

Les groupes de paléoclimatologues

Présentation des études

Laboratoire Université du Colorado, département des géosciences LSCE (CEA-CNRS) : Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement IRD : Institut de Recherche pour le Développement Laboratoire Ecume (CNRS) : Etude du Climat par l'Utilisation de la Modélisation et de l'Expérimentation
Chercheurs Frank Urban, Julia Cole et Jonathan Overpeck Anne Juillet-Leclerc Thierry Corrège Pascale Delecluse
Pays USA France France (Nouvelle Calédonie) France
Coraux analysés Porites  
Lieu Atoll de Maiana (4000 km au sud-ouest des îles Hawaï) Ile de Moorea (près de Tahiti) Vanuatu et récif calédonien du Phare Amédée  
Période retracée 1840 - 1995 : 155 ans 1863 - 2000 : 137 ans 2225 - 2177 av JC : 50 ans comparés au dernier demi-siècle  
Publication de l'étude Nature, 26 octobre 2000 Le Monde, 1er décembre 2000 Le Monde, 4 janvier 2001 Le Monde, 1er décembre 2000
Position (lien entre El Niño et le réchauffement) Dépendance d'El Niño par rapport au réchauffement Dépendance Indépendance Ne se prononce pas

Détail des résultats

Université du Colorado

Il a été mis en évidence la variation de cycles d'El Niño sur une longue période en fonction du climat : à la fin du XIXème siècle, El Niño se reproduisait tous les 10-15 ans environ. Au début du XXème siècle, cette fréquence s'est graduellement réduite à moins de 3 ans tandis que la température moyenne augmentait significativement dans le Pacifique Ouest. Une nouvelle rupture climatique s'est produite en 1976, avec un réchauffement accompagné d'une plus grande humidité du climat, se traduisant par une nouvelle modification du cycle à environ 4 ans. Cette rupture climatique est sans précédent sur le siècle.

En remontant jusqu'à 155 ans, c'est-à-dire avant l'ère industrielle, l'étude apporte de nouvelles preuves que la variabilité décennale prévalait à une période (du milieu à la fin des années 1800) où le climat était plus frait et sec, et le forçage (concentrations en gaz à effet de serre, volcaniques ou solaires) du climat inexistant. Ce changement a été attribué à l'intensification du cycle hydrologique tropical dû aux émissions humaines de gaz à effet de serre, fortement mise en évidence par le décalage significatif du 18O.

LSCE

Anne Juillet-Leclerc : "Nos conclusions sont identiques [par rapport à celles de l'Université du Colorado exposées ci-dessus], mais avec un décalage dans le signal. Nos coraux montrent les effets d'une onde réfléchie, qui passe à l'équateur, bute sur l'Amérique du Sud, et repart vers l'ouest du Pacifique".

IRD

Grâce au forage du phare Amédée, les chercheurs de l'IRD ont fait une découverte surprenante. Ils viennent de montrer qu'entre 1701 et 1761, lors du petit âge glaciaire, et bien avant le réchauffement global du XXème siècle, le refroidissement enregistré dans le Vanuatu n'avait en rien modifié l'occurrence et l'intensité des événements de type El Niño.

D'autre part, il y a 4 200 ans (Holocène moyen ), si la température océanique moyenne était similaire à celle enregistrée actuellement, ses variations saisonnières et interannuelles se révèlent, pour leur part, plus importantes. Il apparaît notamment qu'El Niño était beaucoup plus intense pendant cette période qu’aujourd’hui. La comparaison avec la période actuelle a été rendue possible par le fait qu'il y a 4 200 ans, les conditions climatiques du Sud-Ouest Pacifique étaient très proches de celles qui règnent aujourd’hui avec un ensoleillement et un niveau de la mer quasi identiques.

Les chercheurs ont cependant observé des différences et non des moindres. Les variations saisonnières (de l’été à l’hiver) des températures océaniques sont actuellement comprises entre 2 et 4°C, alors qu’il y a 4 200 ans, celles-ci étaient supérieures ou inférieures selon la période considérée : en 2 200 av. J.-C., elles atteignaient 5°C, voire 6°C (2 216 av. J.-C.), mais seulement 2°C à partir de 2 199 av. J.-C. et même moins de 1°C de 2 193 à 2 189 av. J.-C. Pourquoi ces années froides ou au contraire chaudes à l’Holocène moyen ?

Ces anomalies thermiques fortes correspondent en fait à une intensification d'ENSO : au regard des données issues du massif corallien, celui-ci ne se manifestait ni avec la même amplitude ni avec la même fréquence qu’aujourd’hui. Les épisodes La Niña (anomalies chaudes au Vanuatu) étaient ainsi plus longs qu’aujourd’hui : de 3 à 5 ans contre 1 à 2 actuellement. Ceux-ci étaient interrompues par des phases El Niño (anomalies froides au Vanuatu) deux à trois fois plus intenses, avec une diminution moyenne de la température océanique de surface de 1,5°C (contre - 0,5°C aujourd’hui en moyenne).

Comment expliquer une telle variabilité du phénomène ENSO ? Les chercheurs émettent l’hypothèse selon laquelle l’intensité d’ENSO pourrait avoir été modulée par des variations climatiques qui se manifesteraient à une échelle interdécennale. Tous les dix à vingt ans, des remontées d’eaux froides se propageraient depuis les latitudes moyennes vers l’équateur et pourraient " renforcer " plus ou moins les effets d’El Niño dans cette partie du Pacifique. Pendant la seconde moitié du XXème siècle, cette modulation aurait été moins forte, d’où les différences d’intensité d’ENSO entre cette période et l’Holocène moyen.

L’hypothèse d’une modulation d’ENSO par un cycle climatique interdécennal, qui trouve un écho de plus en plus favorable dans la communauté scientifique, devra cependant être confirmée car, pour ce qui concerne l’époque contemporaine, les données dont disposent les scientifiques ne sont pas enregistrées depuis suffisamment longtemps pour mesurer une telle variabilité. De ce fait, l’étude des coraux fossiles apparaît extrêmement précieuse puisqu’elle permet de reconstituer les variations de la température océanique pendant plusieurs dizaines, voire centaines d’années.

Comme quoi, contrairement à d'autres hypothèses fortement répandues (notamment reprises par les 2 groupes précités), El Niño et le changement global des températures actuel seraient deux phénomènes indépendants. "Du moins jusqu'à un certain seuil de baisse ou d'augmentation des températures de surface", précise Thierry Corrège.

Laboratoire Ecume

Les résultats des paléoclimatologues ne sont pas totalement sûrs. Une partie du signal détecté dans le corail pourrait être attribuée à des variations métaboliques de l'animal. « Il y a dans ce domaine beaucoup d'incertitudes, car les fonctions de calibration ne sont pas assez bien établies », insiste Pascale Delecluse, responsable de l'équipe chargée de l'étude climatique utilisant modélisation et expérimentation (Ecume), au CNRS à Paris.

Il se pourrait que les observations de l'équipe américaine proviennent d'un changement de la « signature spatiale » d'El Niño. Les régions du Pacifique tropical, qui sont aujourd'hui au centre de l'impact d'El Niño, étaient peut-être moins fortement affectées pendant la seconde moitié du XIXe siècle.

Une difficile modélisation

Phénomène majeur par ses effets climatiques, El Niño « est difficile à modéliser, car il est très sensible à de faibles modifications du couple océan-atmosphère », explique Pascale Delecluse. « Les modèles réalisés reproduisent mal les Niño déjà observés, et d'une manière générale, nous manquons d'une modélisation réaliste du climat depuis 1840 », ajoute-t-elle.

Grâce aux données considérables recueillies pendant dix ans à l'occasion du programme international TOGA (Tropical Ocean and Global Atmosphere) lancé en 1985, les modèles climatiques européens et américains ont réussi à annoncer très tôt l'arrivée de l'« enfant terrible » du Pacifique. Mais ils ont été incapables de prévoir son irruption rapide et son extrême brutalité. Des progrès dans l'élaboration des modèles pourraient être faits si la grande variabilité d'El Niño, révélée par l'étude de coraux du Pacifique, est confirmée.

Ces problématiques sont de toute façon au coeur des interrogations du programme de recherche international CLIVAR (Climatic Variability and Predictability).



Le réchauffement climatique   Etude des carottes glaciaires et archéologie